Cette présentation a été faite par J.Ancet le 5 décembre à Bonneville pendant la milonga organisée par tango Velours.
Le tango est l’épopée de l’Argentine. Dans la mythologie qui s’est ainsi construite, il existe une figure centrale : celle du compadre qu’on peut approximativement traduire par "l’homme fort", "le dur". C’est souvent un gaucho converti à la vie de banlieue. C’est un personnage impressionnant par sa force et sa bravoure qui a mis l’honneur et le courage au centre de sa vie. Toujours vêtu de noir comme la mort qui l’accompagne, coiffé d’un chapeau à larges bords, il porte une écharpe blanche, un poignard à la ceinture, et sur l’épaule une peau de mouton qu’il enroule autour de son avant bras dans les nombreux combats qu’il est amené à livrer. Nous trouvons ce personnage au centre d’une rencontre : celle de deux monstres sacrés de la culture argentine : Jorge Luis Borges et Astor Piazzolla. Borges, né en 1899 et mort en 1986, est le plus grand écrivain argentin et l’un des sommets de la littérature occidentale du XXè siècle. Il y a dans son œuvre fascinante où les récits et les contes se mêlent aux poèmes un petit livre intitulé "Pour les six cordes" (celles de la guitare) et composé de chansons ou milongas écrites autour de ce personnage mythique du compadre. Astor Piazzolla (1921-1992) qui a profondément renouvelé le tango dans la seconde moitié du siècle a mis en musique certaines de ces milongas. Voici donc la « milonga de Jacinto Chiclana. (Traduction de J. Ancet)
MILONGA DE JACINTO CHICLANA Me acuerdo. Fue en Balvanera, Je me souviens, il y a longtemps, En una noche lejana Une nuit à Balvanera Que alguien dejó caer el nombre Que quelqu’un a lâché un nom : De un tal Jacinto Chiclana. C’était Jacinto Chiclana. Algo se dijo también Il fut également question De una esquina y de un cuchillo ; D’un coin de rue et d’un poignard ; Los años nos dejan ver Les lames croisées, leur éclat, El entrevero y el brillo. Les années nous les laissent voir. Quién sabe por qué razón Qui peut savoir pourquoi ce nom Me anda buscando ese nombre ; Ne cesse pas de me hanter; Me gustaría saber Moi j’aurais bien aimé connaître Cómo habra sido aquel hombre. Cet homme et ce qu’il a été. Alto lo veo y cabal, D’un caractère mesuré Con el alma comedida, Je le vois grand et accompli, Capaz de no alzar la voz Et sans un mot plus haut que l’autre Y de jugarse la vida Capable de jouer sa vie. Nadie con paso más firme Personne qui d’un pas si ferme Habrá pisado la tierra ; Ait jamais marché sur la terre ; Nadie habrá habido como él Personne qui fut comme lui En el amor y en la guerra. Et dans l’amour et dans la guerre. Sobre la huerta y el patio Sur le jardin et sur la cour Las torres de Balvanera Sont les tours de Balvanera ; Y aquella muerte casual Á un coin de rue comme un autre En una esquina cualquiera. Le hasard de cette mort-là. Sólo Dios puede saber Il n’y a que Dieu pour savoir La laya fiel de aquel hombre ; De quelle trempe était cet homme ; Señores, yo estoy cantando Messieurs, en ce moment je chante Lo que se cifra en el nombre. Ce que dit le nom qui le nomme. Siempre el coraje es mejor, L’espérance n’est jamais vaine La esperanza nunca es vana ; toujours est meilleur le courage; Vaya pues esta milonga Cette milonga que voilà Para Jacinto Chiclana. Est pour Jacinto Chiclana.
Voici l'interprétation du chanteur Edmundo Ribero : Edmundo Ribero (1911. 1986) chanteur, compositeur et guitariste, participant entre autres aux orchestres de J. De Caro, H. Salgan, et Troilo, a apporté au tango, usuellement chanté par des ténors ou barytons, une voix de basse magnifique.